ZORBIA
Zorbia était là, fidèle au rendez-vous. Fier étendard dans le bleu du ciel, le drapeau annonçait l’entrée de la ville..
Comme une femme berbère elle ne se laissait approcher qu’à petits pas. Mon sac sur le dos, je pris le chemin qui s’offrait à moi pour grimper vers le sommet. Un chemin de pierres que les années avaient adoucies. Autour de moi, gisait la solitude perdue dans un champ de pierres. Des amas de roches sur une terre caillouteuse à première vue uniforme. Je perdais mon regard dans cet univers qui peu à peu se faisait disparate. Une pierre blanche n’a jamais le blanc de sa voisine parcourue de tâches brunes ou de l’autre striée de gris. Ce gris n’était pas tout simplement gris. Il était tantôt couleur orage, mer déchaînée, ou noir comme de l’ardoise. Mais aussi couleur de la brume du matin, d’un ciel qui se voile, d’une petite souris qui court.
Je ramassais un caillou, rond presque blanc. Je le posais lentement contre ma joue. Sous l’apparente rugosité se dissimulait une douceur enfantine, presque une peau de bébé. Son odeur sentait la chaleur du ciel. Par moments, un parfum d’épices semblait s’en échapper. Je levais la tête : pas un arbre à l’horizon, aucune trace de vie. Seul le drapeau pouvait laisser entendre que quelque chose se cachait là. Il se dressait au dessus d’une montagnette comme laissée là à l’abandon. La blancheur du tissu laissait entendre qu’une main l’avait accroché récemment. C’était le messager de la ville, le panneau Bienvenu.
Je remarquais sur ma droite des petites billes rouges au sol. Modestes, elles tentaient de se dissimuler dans ce sol aride, mais leur couleur détonante attirait l’attention. Je m’ interrogeais. D’où venaient-elles . Comment avaient-elles poussé là ?. Mais je ne connaissais pas encore Zorbia.
Zorbia signifie « mérite » en langue Tchmar. C’est que celui qui la découvrira devra y revenir chaque année, à la même date.
Arrivée au sommet, la ville s’étendait sous mes yeux. Ou plutôt devrai-je l’appeler «cité», «vaisseau», le mot m’échappait. N’étais-je pas victime d’une hallucination? Un large espace concentrique s’offrait à mes yeux. La pierre avait laissé la place à une vaste étendue d’un bleu opaque. D’une matière qui semblait inconnue dans la sphère des humains. Des oiseaux aux larges ailes la couvraient comme une mère protège son nid. Leur attroupement formait un toit de plumes aux couleurs grisées rappelant celle de la pierre. Tout autour de ce cercle on apercevait de grands amas rouges en forme pyramidale. Cette cité disparaissait dans un paysage sans horizon. Malgré la présence des animaux, aucun bruit ne filtrait. La température était douce, nulle chaleur accablante en dépit du paysage environnant.
Je descendis doucement vers Zorbia. Sous mes pieds, les cailloux s’effritaient pour devenir sable. La matière bleuâtre se faisait plus précise sans être identifiable. Le cercle s’élargissait. Ce qui paraissait être, au départ, de petite dimension devint de plus en plus grand. On avait le sentiment, qui devint plus tard une certitude, qu’il était d’un diamètre variable, en fonction d’éléments qui m’échappaient.
Arrivée à mi chemin,, je stoppais et observais, les sens aux aguets. Une odeur singulière me saisit. Comme une odeur de fruits métissés de curcuma. Une volute de fumée, imperceptible du sommet de la montagnette s’éleva de la cité vers moi. Les pyramides rouges laissèrent apparaître leur matière
qui paraissait être des fruits. La matière bleuâtre semblait s’apparentait à une texture gélatineuse, impénétrable. Le silence et le calme semblaient régner en maître.
En m’approchant de Zorbia, la matière s’éclaircit et se révéla comme un rideau de lumière translucide. J’aperçus, suspendus au toit de plumes, d’immenses nids comme des habitats. Aucun bâtiment qui puisse ressembler à ce que nous connaissons. Aucune rue, n i chemin. Aucun habitant, ni même d’être vivant ne semblait y vivre.
Plus je m’approchais, plus la ville s’approchait également. Elle formait désormais une cité tentaculaire, aux formes mouvantes. Zorbia, la maîtresse du désert, m’ouvrait ses portes. La tentacule m’emporta. Plus exactement, elle me fit pénétrer dans la cité.
Je regardais autour de moi. Rien, à l‘exception, en son centre, d’une fontaine suspendue d’où jaillissaient des gerbes d’eau. Rien n’expliquait d’où venait cette eau, ni qui avait conçu cette fontaine. Je réalisais qu’il faisait chaud, plus chaud que sur le sommet de la montagnette. Des bulles d’air descendirent des nids. Des bulles de toutes tailles qui peu à peu m’encerclèrent comme une nuée de nuages sur lesquels je m’allongeais. Une impression de légèreté s’empara de moi. Je flottais et me dirigeais inconsciemment vers les nids. De petits êtres ronds comme des billes dotés de yeux immenses m’accueillir. En me déposant près d’eux, je réalisais qu’à mon tour mon corps rétrécissait. Un étrange sentiment de bien être m’envahit. Mon corps devenait plénitude et mon âme s’ouvrit vers un sentiment de bien être indescriptible. « Bienvenu sur Zorbia ». Une voix s’éleva d’une bille semblable aux autres et pourtant différente. Une majesté indicible semblait émaner de sa personne. En m’approchant, je vis ma mère, je vis mon père, je vis tous ces êtres aimés qui avaient partagé jusqu’ici ma vie. Zorbia était la ville de l’Amour.
Celui qui rend l’homme épris de justice et de bonté. Celui qui supprime tout égo, toute vanité, tout désir de vengeance, toute jalousie, toute haine. Celui qui regarde la nature émerveillé, celui qui sait accepter l’autre sans le juger. Zorbia était la terre de demain Quand tu repartiras me dit la voix, tu seras cet homme. Celui qui propagera la bonté sur terre et qui fera que demain l’homme restera l’homme et ne sera plus cet animal qui aujourd’hui se déchire. Et l’an prochain, à la même date tu reviendras et tu nous déposeras les convertis qui eux même déposeront à leur tour leurs convertis. Car si ton cœur tourmenté recherche la paix, nous te l’offrirons mais il faudra le mériter. Et repartir chaque année vers les terres lointaines pour faire que demain l’homme redevienne ce qu’il devrait être’
Et quand tu auras rempli ta mission, nous t’accueillerons pour l’éternité dans une bulle sans fin.
Marine Février 2024